EMERIC HAUCHARD
Né en 1975.
Vit et travaille à Rennes.
Sous des formes au demeurant ludiques et conviviales, Emeric HAUCHARD nous entraîne dans des questionnements contenant, sinon une certaine inquiétude, une grande perplexité face au monde environnant et son fonctionnement.
Ses propositions plastiques souvent élaborées autour de matériaux de récupération, de rebus, nous interrogent sur nos attitudes et la manière dont nous pratiquons l’échange ou la communication.
Elles contiennent toujours une part d’ombre, une sorte de rappel du cynisme distillé par la société contemporaine et ce qu’induit la « consommation ».
A bien y regarder, ses découpages recto verso de pages de magazines révèlent des « endroits » superficiels dotés « d’envers » grotesques ou pathétiques, conformes au monde qui nous entoure.
Ses guirlandes de pain perdu rappellent avec une esthétique joyeuse la frénésie du gaspillage ambiant.
« Banc p » affirme à travers sa dimension de « mobilier urbain » une autre dimension propre à notre société : celle d’un mobilier à vocation « collective » mais qui par les modes de fonctionnement de notre société se réduit souvent à un usage individuel. « Banc p » semble répondre aux attentes de ses usagers potentiels. Banquette accueillante pour sans domicile fixe, station pour flâneur de boulevard, ou divan de psychanalyste invitant au dialogue, à la réflexion sur notre environnement et l’espace publique.
Denis DRIFFORT
Le monde se fragmente et se perd dans les vaines articulations de ses ressassements. Il se laisse aller à la pente chaotique des cassures, se réduit à l’état d’un morcellement cruel et ses morceaux deviennent d’innombrables déchets. Des voix en lambeaux, criblées de blancs, d’absences, se relaient, échangent des propos incertains, s’interrompent et se brouillent dans une sorte de rumeur de fantômes. Emeric HAUCHARD prend en compte cette insuffisance qui indique que quelque chose échoue sans cesse à se dire, aussi bien dans la parole individuelle que dans la parole collective. Il en sonde la répétition insistante, se mesure à elle et signifie ainsi une forme de résistance. Il s’agit, par des gestes modestes, des touches dérisoires, de retrouver un usage de l’échange ordinaire, de faire entendre ce qui ne s’entend plus, de donner la parole à ce qui se condamne au silence, il faut donc s’en sortir avec cet éclatement et ces éléments qui coexistent, se superposent et s’ignorent, et fabriquer des liaisons primaires et des arrangements sans prestige d’agrégats où se définissent des équilibres de temps de vie et de pensée. Ainsi le « Banc p » élaboré à l’aide de matériaux de récupération et de rebus, revendique d’abord un savoir-faire marqué par la précision et l’efficience. Il emprunte à plusieurs registres (mobilier urbain, divan de psychanalyste, refuge, intrigue, repère) et échappe à une définition stricte. Ce banc peut être approché d’une part comme une proposition à entrées multiples qui produit un flottement où rien ne semble pouvoir arrêter la parole dans sa dérive généreuse et d’autre part comme un point d’ancrage qui décide, sous la forme d’un jeu, des conditions et des règles d’une rencontre, d’un dialogue. Emeric HAUCHARD pose la question de l’autre et pour que cette question ne reste pas inutile, il rassemble des morceaux abandonnés, déchus, tire des fils minuscules et s’engage, sous une apparente banalité, à renouer des liens oubliés. Il pointe la nécessité d’un contact. Toutefois, ce contact est toujours menacé, tant il est précaire. Mais il suffit parfois de réactiver de simples gestes, actes, situations et attitudes –s’asseoir, se reposer, se confier, se rendre disponible – pour enclencher ce contact, s’exprimer, être à l’écoute. Malgré les signes de finitude et de limitation, de rupture et de répétition, il faut finalement peu de chose pour être au monde et agir dans le monde.
Didier ARNAUDET