NINA LAISNÉ

 

Artiste en résidence à Pollen de mi-septembre à mi-décembre 2010.

Vit et travaille entre Madrid et ailleurs…

« Depuis plusieurs années mes recherches plastiques, entre photographie et vidéo, s’articulent autour de la question du drame. Plus précisément il s’agit de sa représentation et non de sa monstration. Comme si une tension s’était infiltrée dans l’image susceptible de la faire basculer dans un potentiel dramatique.

Ces recherches découlent d’un fort intérêt pour le cinéma, ainsi que d’un questionnement sur la représentation sociale à travers la notion de drame bourgeois.

Toutes ces scènes que je donne à voir sont construites, précises. Chaque espace dans lequel évolue le modèle est soigneusement pensé.  Cela se rapproche d’un travail de scénographe sur un plateau de tournage. Pour la plupart de mes images je fais appel à des acteurs. Si les modèles sont parfois issus de mon entourage cela reste anecdotique. Les personnages et lieux ne sont pas précisément identifiables pour dérouter, et donner un sentiment de flottement dans un espace perçu comme intemporel. Les corps ont une présence singulière qui induit une esthétique particulière qui fait déchanter le drame.

Je m’intéresse à une forme de bourgeoisie qui prétend à la propriété, à la capitalisation et aux loisirs. Une bourgeoisie qui se trouve dans des situations d’inconforts, de malaise provenant du contexte dans lequel elle évolue et qui semble aspirer à devenir autre chose que ce qu’elle est…

STATION est un projet réalisé durant les 3 mois de résidence à Pollen.
Il s’agit d’un ensemble de photographies qui parcourt différents espaces sportifs (piscine, vestiaire, gymnase…), des espaces dédiés au corps. La plupart de ces lieux sont fermés en dehors des deux mois d’été. Leur état stationnaire a très vite attiré mon attention. Et curieusement même si ces espaces sont vides, ils sont chargés de cette tension physique.
A la différence de mes précédentes images, ces photos ont été réalisées sans aucune intervention de ma part. J’en suis arrivée à penser une photographie plus dépouillée, plus directe. L’occasion pour moi de me concentrer sur la lumière qui occupe ces lieux, révélant alors tout leur potentiel dramatique. »

Nina LAISNÉ

Nina Laisné photographie une absence, celle des corps, et cette absence désigne une présence, celle des espaces voués à l’action, la compétition et donc à l’entretien de ces corps. Elle décide ainsi des choix de regard sur des sites de pratiques sportives (piscine, gymnase) et de leurs équipements et commodités (vestiaires, douches, infirmerie), abandonnés, ou plus exactement mis entre parenthèses, en attente de la saison estivale. Elle nous confronte à un monde ordinaire, mais qui se dérobe à toute proximité rassurante, laisse place à une rudesse indéfinissable, une interrogation insistante, et cette confrontation directe, resserrée, marquée par une frontalité d’où se dégage quelque chose d’incertain, nous pousse à basculer peu à peu dans un monde inconnu.

L’image relève à la fois de deux ordres : la réalité et la fiction. Ces deux ordres interfèrent l’un dans l’autre et entretiennent des liens complexes qui empruntent bien des détours et des voies de traverse, tout en préservant une surface apparemment lisse, tendue vers une communication n’opérant que par élimination ou suspension. Tantôt ils se joignent, se mêlent et échangent leurs enjeux respectifs, tantôt, au contraire, ils se jaugent, se préparent à un affrontement, sûrement violent, pour signifier le tranchant de leurs oppositions. Cet état inconstant de confusion est pourtant délibérément convoqué, redoutablement maîtrisé. Elle a l’objectif particulier de présenter l’expérience vécue d’une désignation et d’une rétractation, et de donner à ce double aspect une formulation qui, tout en étant rigoureusement ordonnée, insinue, sollicite et suggère. Il s’intensifie dans la conjonction du vide et du plein, de la lumière et l’obscurité, de la réserve et de l’éclat, de l’inertie et de la résistance.

Le démontage de la réalité ne peut s’effectuer que par un surcroît de réalité. Il s’agit de porter à l’extrême le jeu des indices, en soulignant les repères, en amplifiant les ressources, sans pour autant s’engluer dans la démonstration. Cet excès de réalité ne renonce pas à une qualité de fluidité, d’austérité même, et passe avant tout par le refus de l’abstraction des lieux et de la résonance fantomatique des corps. Son apparence théâtrale renvoie à la nécessité de la fiction, de son usage de la contradiction, à l’ouverture d’une scène affûtée, d’une inquiétante compacité, aimantée par un accomplissement qui ne viendra pas, mais où se devinent la forte tension de l’effort et le relâchement qui nous forcent à rester sur nos gardes, à maintenir une vigilance renouvelée.

Didier Arnaudet

Nina Laisné photographs absences, specifically that of the human body, and this absence is representative of a certain kind of presence, that found in areas devoted to activity, competition and the concurrent physical activity of the body. To this effect she chooses views of sporting venues (swimming pool, gymnasium) and the equipment and amenities, changing rooms, showers, first aid centres), abandoned, or more precisely temporarily suspended, waiting for the coming season. She shows an ordinary world, unveiled in reassuring proximity, but still allowing room for an indefinable ruggedness, an insistent questioning, and this direct confrontation, narrowed down, marked head on by a freeing up of something uncertain, pushes us to topple bit by bit into an unknown territory.

The images reveal two levels at the same time: reality and fiction. These two levels interfere one with the other and maintain complex links which exchange detours and traverses, whilst preserving an apparently smooth surface appearance, extending towards a form of communication which only operates by elimination or suspension. Sometimes, contrarily, they size each other up, preparing for a confrontation, surely violent, to show the sharpest of their contrasts. This inconstant state of confusion is sometimes deliberately summoned, formidably mastered. It has the strange objective of showing experiences without nomination or revocation, and gives to this double aspect an expression which, rigorously organised, insinuates, solicits and suggests. It is intensified through the conjunction of empty and full, light and darkness, discretion and splendour, inertia and resistance.

This stripping down of reality can only be achieved by an increase in reality. It consists of bringing to an extreme a game of clues, an underlining of locales, an amplification of means, without going so far as to get stuck in the display. This excess of reality doesn’t dispel a fluid quality, starkness even, and ignores above all a refusal to abstract places and the phantasmic resonance of the body. This theatrical appearance reflects back to the need for a fiction, of her use of contradiction, of the opening of a sharply designated scene, a disturbing density, magnified by an accomplishment which never comes, but where can be found the high tension of effort and release which forces us to stay on our guard, to maintain a renewed vigilance.

Didier Arnaudet

Edition réalisée dans le cadre de la résidence à Pollen – Epuisée –
Plaquette 4 pages – 21 x 29,5 cm
3 photographies