Aurélie RONCIN
Artiste accueillie en résidence de novembre à janvier 2000.
Elle vit et travaille à Douarnenez.
Je peux ainsi introduire dans ma propre langue des contributions empruntées ailleurs. Le meilleur service qu’on puisse rendre à une langue, c’est bien de l’enrichir, vous ne pensez pas ? Une ligne qui chemine coule et tente de se définir dans une obscurité apparente une ligne qui n’a ni netteté ni certitude comme le murmure menacé à une respiration indéfinissable une seule idée non rompue elle a ses méandres ses détours ses haltes ses abandons ses inventions et ses sources à déceler La vaste matière engrangée dans ces cahiers, si elle possède la qualité d’une texture de sensations et de connaissances, ne manifeste en rien le rêve d’une exhaustivité susceptible d’englober toutes les dimensions du monde. Mon cas est un peu particulier, dû comme vous le savez à des contraintes biographiques. J’ ai la conviction profonde que le corps dans lequel nous écrivons relève parfois de l’accidentel. Elle ne cherche pas à revaloriser les termes qu’elle emploie mais à l’air de les rendre encore plus ordinaires d’amoindrir leur résonance de les dépouiller de leur couleur de leur forme de leur précision elle apprivoise leur rudesse et les absorbe dans la présence glissante d’une ligne. Cette indétermination, on sera tenté, dans un premier temps, de la mettre sur le compte de l’inexpérience, et surtout du caractère de découverte propre à toute écriture en son apparition. Mais, dans un second temps, il faudra bien remarquer que cette valeur d’interrogation permanente se constitue en un désir de repérage de ce qui, dans l’épaisseur du réel, est en train de laisser place à la fiction . C’est difficile à dire. Je me pose bien sûr la question mais je n’ai pas encore obtenu de réponse claire. Mais au fond, le problème n’existe que lorsqu’on me pose la question. Ce dosage singulier découle de multiples causes et résulte de multiples liens entre ces causes mêmes à la surface que voit-on ? de la lenteur de la hâte de la pensée de l’amour des choses liées à l’obsession de la durée et en même temps à l’excès qui les détermine. On écoute la voix lointaine d’un être livré à sa propre solitude, soumis à la pure scintillation d’une hésitation à vivre. Dès lors que faire, sinon persévérer dans cette écoute et donc dans le vertige de cette attente de l’autre. La surprise a disparu. Le monde change si vite autour de nous que nous ne trouvons rien à redire si nous perdons à chaque étape une identité pour en gagner une autre. Là dans le tissu des choses invisibles une énergie fluide convoque le regard sa capacité à se porter un peu plus loin que la parole et à anticiper sur sa possible disparition. Nous ne pourrons parcourir cette étendue que pour en rappeler la mémoire qui ne se donne que par signes, qui ne se livre qu’à travers une vibration. Oublier ? J’aimerais le faire, mais je n’en ai pas encore éprouvé la nécessité. Elle ne pourra désormais s’écrire qu’à condition de prendre appui sur l’exercice de la mobilité l’évaporation de sa présence c’est-à-dire sur presque rien et faire de ce presque rien la matière compensatrice de toutes les absences. Il reste à déterminer le degré d’intrication de strates hétérogènes vouées, en chaque être, à se chevaucher et à se combattre. L’imaginaire fonctionne d’une étrange manière. Cette écriture ne se contente pas de se resserrer autour de sa prise. Une clôture est tracée, puis dépassée, brisée.
Didier ARNAUDET
Aurélie RONCIN 2 photographies
Catalogue 16 pages + couverture – 21 x 16 cm
2 photographies
Texte Didier Arnaudet.