« Intérieurs » de Roselyne TITAUD

Roselyne TITAUD jeune photographe stéphanoise, présente des séries de clichés qui établissent des rapports étroits avec la peinture et l’un de ses sujets emblématiques la « nature morte ».
L’artiste propose un travail photographique où les notions d’esthétiques de bon ou mauvais goût, s’effacent au profit de celles qui joueront de la simple composition de l’image : ligne, formes, couleurs…
Roselyne TITAUD puise dans l’environnement immédiat ses sujets et capture de «l’avoir» pour révéler les « êtres »…
« En ordinaire » elle «observe le réel» mais nous délivre pourtant des images subtiles qui par leur nature «picturale» vont imposer et construire leurs fictions.

L’Etre et l’Avoir…

Sans dire que Roselyne TITAUD s’amuse d’un rien, on s’autorisera avec une bienveillante provocation à dire que son travail se nourrit du minimum. Les processus qu’elle met en oeuvre sont en effet simples, minimalistes et fuient volontairement les artifices et les effets sophistiqués.
Roselyne questionne l’image, sa subjectivité et sa très relative aptitude à traduire ou simplement refléter un environnement, des évènements ou une quelconque réalité. Elle s’interroge sur les rapports particuliers que nous établissons avec « ce qui est donné à voir »,  sur “l’avoir” aussi.
Roselyne TITAUD propose des images teintées d’objets, épicées des traces matérielles d’êtres impalpables. Elle les soumet à une expérience ou nous ferons le reste : les liens établis entre les images d’un diptyque, les histoires et personnages à associer aux intérieurs qu’elle photographie, n’appartiendront jamais qu’à nous-mêmes.
Sans mise en scène, ni falsification, ses photographies en puisant dans la réalité, laissent le champ ouvert à toutes les spéculations, racontent la relation universelle et singulière que chacun établit avec la matière, l’environnement, les objets.
Les espaces « publiques » de la salle à manger, du « salon”, s’avèrent autant de terrain d’enquêtes dont les détails, affirment la présence du vivant, de l’Etre.
Roselyne traque les failles d’intérieurs privés, où les objets perdent leurs « dimensions ordinaires » pour ne conserver que celles symboliques, idéalisées, ou même affectives que leur ont conférées leurs propriétaires.
Ce rapport au réel, à l’objet, manifeste évidemment ses parallèles avec la Peinture et l’un de ses sujets emblématiques, la nature morte. Roselyne en manipulateur d’images, propose des représentations d’un réel, qui jouent malicieusement et ponctuellement de références à la peinture et aux archétypes dont elle a historiquement usés pour parler de notre environnement.

POLLEN / Denis DRIFFORT

Le vertige d’une vie

« Il y a des accidents obscurs et compliqués, impossibles à dire.
Et il y a pourtant l’esprit de l’ordre, l’esprit régulier, l’esprit commun à tous les désespoirs qui interroge. »
(Pierre Reverdy)

Roselyne TITAUD photographie des intérieurs où le corps ne se donne pas à voir, ou si peu, ou plutôt autrement. Elle observe, capture et accumule. Chambres, salons, salles à manger s’imposent comme réseau de correspondances et réservoir de formes surprenantes ou modestes, cérémonielles ou rudimentaires, grotesques ou indéfinissables, qu’elle ne cesse d’inventorier.
Objets et motifs décoratifs, souvenirs, lits, lampes, canapés,fauteuils, napperons, vases et fleurs apparaissent comme d’étranges insectes, méthodiquement classés, impeccablement étalés, qui détiennent dans leurs couleurs et leurs formes la grammaire de tous les styles artistiques. Roselyne TITAUD entretient un certain voisinage avec l’entomologiste.
On pourrait presque imaginer qu’elle invente des pièges, des appâts, considère sa proie avec une extrême attention et qu’elle la désire tout autant. On pourrait aussi penser que le moment crucial, c’est moins celui où elle fera image de cette proie pour la conserver, soigneusement étiquetée, que celui où elle décidera de sa capture. La collection n’est pas son but. Elle n’est que la trace visible de ses explorations, son matériel d’étude, de comparaison. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas le côté insolite, éxagérément précieux ou insignifiant, mais la représentation optimale de la proposition et de sa nature.
Ces objets et ces meubles ne produisent pas seulement des relations directes ou indirectes, fortes ou superficielles, intimes ou anecdotiques avec le regard. Ils portent en eux un sens qui les dépasse. Certes, ils apparaissent d’abord dans leur réalité propre, dans leur évidence particulière, mais la présence qu’ils imposent n’est pas réductible à leur appréhension immédiate. Cette présence implique une autre présence, celle d’une existence en prise avec un quotidien qui n’existe qu’à travers quelques indices d’une multitude d’activités hétérogènes.
Ces objets et ces meubles se manifestent comme des points de croisement, des expériences et des événements élémentaires incrustés dans la routine habituelle, à partir desquels la texture sensible d’une existence peut être reconstituée.
Ils nous invitent bien évidemment à pénétrer dans la substance des images, mais plus encore à remonter jusqu’aux infimes sensations et émotions qui en constituent la source et souvent aussi l’organisation. Ces intérieurs étroitement cernés sont néanmoins prodigieusement ouverts à l’interprétation. On peut les aborder de toutes les façons car ils sont chargés de résonances, de réminiscences et d’échos divers. Ils sont là apparemment sans raison et pourtant sur eux se concentrent toutes les énigmes de l’existence. Ils provoquent un attrait qui interroge, intrigue, trouble. Roselyne TITAUD en propose une étude minutieuse, indéfiniment reprise, menée sur un mode à la fois analytique et poétique et elle sait en prolonger l’effet de séduction tout en se protégeant de ses dangers. Ses photographies fonctionnent sur l’impact d’une révélation.
Elles convoquent des cadres et des usages de vie, des empreintes, des personnifications dont elles nous engagent inlassablement à distinguer les principaux aspects : reliefs, matières, dessins, couleurs, détails, attributs, extravagances, équilibres, ambiguïtés, connivences. La singularité ne réside pas dans l’excessive variété, mais dans la disposition. La combinaison devient l’essentiel et transcende la banalité ou l’artifice des éléments dont elle fait usage. Loin de s’écarter de la réalité, la combinaison ramène à elle et permet de percevoir en elle, ce que l’habitude rend indifférent. Elle revendique le besoin d’une démesure et aboutit ainsi à affirmer une étrangeté sans doute irréductible. Intériorité et extériorité s’y interpénètrent.
Les surfaces s’y transforment en masses et suggèrent des opacités. Les transparences prennent une sorte de poids spécifique, de densité. Quelque chose s’y concentre et nous appelle, mais sans consentir à livrer ses secrets. Cette sédimentation de temps, de gestes, de références, de ressources et de rêves n’est pas un obstacle contre lequel nous butons, c’est au contraire une force de communication qui suppose un regard moins négligent, plus perçant, plus attentif.
Roselyne TITAUD témoigne d’un désir de peinture. Elle photographie ces intérieurs comme des portraits, des paysages ou des natures mortes. De ce désir, elle ne propose que le reflet mais en l’unifiant en un acte de pensée qui en marque l’exigence, paradoxalement masquée par les utilités et futilités d’une vie ordinaire. Il semble qu’une mince couche de transparence lumineuse recouvre et protège ces intérieurs et leur confère le charme d’une composition qui, par ses maladresses et ses fulgurances inattendues, échappe à la répétition mécanique d’une formule. Le silence n’est alors que la coagulation des bruits de ces moments et de ces actes qui organisent le quotidien. Le plein et le vide se partagent les avantages et les inconvénients de la proximité et de l’éloignement, et les mêmes difficultés de déchiffrement.
Ces intérieurs se dessinent comme des espaces sensoriels et affectifs d’où se dégagent autant la clarté que l’obscurité, la stabilisation que la variation, l’harmonie que la dissonance.
L’exercice du regard est lié à une insistance, presque une obligation de forcer, de pénétrer. Il faut savoir ne pas se contenter de ce bloc de pensées, d’images et de sensations et s’aventurer dans sa réalité opaque. Il faut savoir transpercer, fixer et épingler ces fantaisies qui dérangent, ces éléments signifiants perdus dans la masse, ces alliances de petites monstruosités et de ponctuations incisives, ces arrangements forcés, violents et ces traits clairement émotionnels.
Le détail est ici le grain de sable qui bloque la logique des engrenages, et il se multiplie, s’additionne, abandonne l’étroit point de vue utilitaire, risque le gratuit et le mauvais goût, bouscule tout ce qui est quadrillé, domestiqué par des concepts, inverse le mouvement et entraîne vers ce que nous avons cessé de voir. Et, en raison précisément des résistances qui lui sont opposées, de la difficulté qu’il éprouve à circuler dans la compacité de ce qu’il explore, le regard se livre à un vrai travail de connaissance, à une prospection passionnée et engrange ainsi quelques renseignements nécessaires à la poursuite de ses investigations.
Ces intérieurs rassemblent des strates de vie et se montrent comme des rituels de concentration de repères et d’empilement des années. Le poids du temps enrichit ces espaces. Dans ces photographies, Roselyne TITAUD rapproche le temps et l’espace et s’oppose à l’émiettement d’une vie humaine en l’intégrant dans la dimension d’une histoire simplement vécue et donc disponible à l’autre. Il y a là un souci constant d’élargir la mémoire individuelle en mémoire collective, d’inverser la matière dans laquelle s’inscrit le temps afin qu’il ne soit plus éprouvé comme une perte, mais comme une force. Ces objets et ces meubles conservent les traces et les dépôts des activités humaines qu’ils ont suscités et structurés. Ils élargissent ainsi le champ de notre conscience et nous font pénétrer dans notre intimité. Ils réverbèrent des motifs, des signes, des constats et des aveux qui, pris dans le territoire d’une vie, perdent leur apparence première et donnent de l’ampleur à ce vertige où coexistent la fragilité et l’épaisseur, l’apparition et la disparition.

Didier ARNAUDET

Roselyne TITAUD
« Intérieurs »
Catalogue Monographique 21 x 16 cm Editions Pollen / ODAC
32 pages couleurs + Couverture 3 volets
18 photographies couleurs
Epuisé
Textes Didier ARNAUDET / D. DRIFFORT